Idées

Londres: le choix du mensonge sur l'Europe

Notes du CAPE, n°10
12 décembre 2015

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Qui se souvient de la polémique lancée il y a un an par M. David Cameron ? Plus grand monde, sans doute. Pourtant, en tant que défenseur d’une Europe puissance, il est de mon devoir de rappeler que tous les mensonges proférés par les hommes politiques européens qui ne pensent qu’à leurs échéances électorales nationales, ne font qu’insidieusement détruire le projet européen en faisant rentrer dans le cerveau des citoyens des contre-vérités destructrices pour l’Europe

Fin octobre 2014, à l'issue de la réunion du Conseil européen, l'ensemble de la presse européenne mettait à la une de ses titres le "coup de colère" de David Cameron. Non, la Grande-Bretagne ne paiera les 2 milliards d'euros supplémentaires que lui réclame la Commission européenne! Le Premier Ministre britannique, sachant parfaitement manier l'arme médiatique et les symboles, affirmait sa détermination, devant le parterre de journalistes, à ne pas plier face à une injonction injustifiée, présentée tel quel par la Commission européenne, à la surprise générale des membres du Conseil européen. Bien évidemment, comment ne pas penser à Margaret Thatcher et son fameux: "I want my money back" qu'elle lança à Fontainebleau trente ans plus tôt. David Cameron reprend la posture classique du souverainiste et indépendantiste britannique face à la machine "Europe".

Seulement, cette fois-ci, cela ne prend pas. Le mensonge est trop gros et la manœuvre politique trop caricaturale pour être prise au sérieux.

D'où viennent ces 2 milliards d'euros ?

Afin de pouvoir comprendre d'où vient cette requête de la Commission, il est indispensable de revenir quelque peu en arrière, revoir la chronologie des événements et expliquer succinctement le fonctionnement du budget de l'Union.

Le Conseil européen définit pour chaque période de 7 ans un cadre financier pluriannuel (CFP) qui détermine les montants maximaux que l'UE peut dépenser pour la mise en œuvre de ses politiques. Il est important de noter que ces montants sont estimatifs et ne sont pas à proprement parler le budget: il s'agit d'un cadre d'action permettant d'assurer "la programmation financière et la discipline budgétaire" . L'an dernier a été adopté le CFP pour la période 2014-2020.

Le "vrai" budget est voté annuellement par le Conseil et le Parlement dans la limite des plafonds définis dans le CFP. Pour les années 2014-2020, les ressources propres que l'UE peut mobiliser au cours d'une année ne doivent pas dépasser le taux de 1,23% du Revenu National Brut (RNB) de l'UE. Ce RNB est calculé sur base d'une comptabilité harmonisée: le système européen des comptes nationaux. Jusqu'à présent, le calcul était basé sur le règlement (CE) n° 2223/96 (SEC 95).

Les Etats Membres ont jugé nécessaires de procéder à la révision du système européen de comptes instauré par le SEC 95 pour tenir compte notamment des évolutions du Système de Comptabilité Nationale des Nations Unies (SCN 08), l'objectif étant d'établir "un système qui soit adaptée aux structures économiques des États membres, afin que les données de l'Union soient comparables à celles établies par ses principaux partenaires internationaux" . Ce travail de révision a duré plusieurs années et a fait l'objet de contributions des instituts statistiques nationaux des Etats Membres, des banques centrales nationales et de la Banque centrale européenne. Tout cela a abouti à l'adoption du Règlement n° 549/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans l'Union européenne.

 

Suite à ce changement de méthodologie, en mai 2014, les Etats Membres se sont mis d'accord pour revoir le calcul de leurs RNB respectifs et d'adapter les plafonds des ressources propres en conséquence. L'Office Statistique européen (Eurostat) a ainsi établi en octobre 2014 une estimation des conséquences du SEC 2010 sur le RNB des Etats Membres.

Le 20 octobre 2014, lors du Comité Budget du Conseil (COMBUD), la Commission a présenté les conclusions de cette nouvelle méthodologie sur les ressources propres des Etats Membres. Le montant d'ajustement de 2 milliards d'euros est apparu officiellement à la Grande-Bretagne lors de cette réunion. Non seulement cette dernière n'a fait aucun commentaire, mais en plus, le compte-rendu de cette réunion indique précisément que ces données étaient encore provisoires, que les montants finaux seraient crédités/débités sur les comptes des ressources propres des Etats Membres début décembre 2014 et qu'ils seraient communiqués officiellement aux Etats Membres en novembre 2014. Dans ce même compte rendu, il était précisé que l'ajustement pourrait être fait plus tard en fonction de l'adoption du budget amendé par l'Autorité budgétaire (à savoir le Conseil et le Parlement européen).

Le mensonge et faux calcul de David Cameron

Dans ces conditions, comment est-ce David Cameron ne pouvait pas être au courant de ces ajustements ? Depuis plus de 7 ans, l'Office statistique britannique contribuait au travail de méthodologie. Le Conseil, à savoir l'organe représentatif des Etats Membres, a voté règlements et décisions sur ce nouveau système comptable et sur l'adaptation des ressources propres. Si le Premier Ministre britannique n'était pas au courant, alors il y a un réel problème de gouvernance interne au sein du Royaume britannique.

Mais non! D. Cameron était parfaitement conscient de tous ces éléments avant même la tenue du Conseil européen. Sa démarche était donc entièrement préparée. Quand, le 7 novembre 2014, le Ministre britannique des finances se réjouissait d'avoir obtenu un délai pour le règlement de la rallonge de 2 milliards d'euros, tout était déjà joué d'avance.

Cette manœuvre politicienne n'avait d'autre but pour M. Cameron que de "sauver sa peau" à quelques mois d'élections législatives en Grande-Bretagne en mai 2015.

Mais est-ce que le calcul politique était correct? D'une part, rien ne garantissait que sa manœuvre serait suffisante, ou bien même qu'elle aurait un impact décisif sur les votes. D'autre part, et c'est bien là le point le plus important, le Premier Ministre britannique a privilégié la politique politicienne au détriment de sa contribution à l'Histoire et à la construction d'une Grande Europe. Ce type de comportement doit être vivement combattu et dénoncé car ce sont ces personnages qui donnent vis-à-vis des citoyens européens les messages les plus négatifs et contre-productifs et rabaisse le projet européen

Que peut faire la Commission dans ce cas?

La Commission européenne est très souvent victime des approximations, voire des mensonges des représentants des Etats Membres. Ces derniers ayant une visibilité médiatique beaucoup plus importante, la Commission se retrouve généralement mise devant le fait accompli.

Dans le cas particulier décrit dans cet article, la Commission doit également être blâmée pour son manque de réactivité. Alors que la plupart des Chefs d'Etat et de gouvernement s'énervaient contre la position de M. Cameron, comment expliquer que M. Barroso, président de la Commission européenne, avouait à la presse belge qu'il n'était pas au courant de ce nouveau calcul. Quelle crédibilité donner à l'action des institutions européennes par ce type de réaction? Est-ce que le Président sortant défendait la Commission et ce qu'elle peut représenter, ou bien s'agissait-il d'un représentant bien sage des intérêts particuliers des Etats Membres. Espérons que la nouvelle Commission récemment nommée reprenne en mains les rennes de l'Europe et s'en tienne aux principes clés des Traités, à savoir œuvrer exclusivement dans l'intérêt général de l'Europe et se démarquer des pressions nationales.

Cet événement est tous cas le puissant révélateur de la petitesse d'esprit de nos "élites" nationales.

La Commission européenne quant à elle doit se donner les moyens d'être plus présente sur la scène médiatique pour d'une part contrecarrer les attaques nationales, voire nationalistes, et d'autre part de pouvoir anticiper ce type de réaction. S'imposer dans les médias constitue un travail de longue haleine mais il est indispensable de tenir compte de ce "quatrième pouvoir" afin de défendre correctement l'idée européenne. La Commission européenne doit prendre le pari de cibler non pas simplement les représentants des Etats Membres ou quelques élites bien pensantes déjà acquises au projet européen, mais bien l'ensemble de la population européenne. C'est la voie à suivre pour redonner une crédibilité à des institutions bien mal aimées en ce moment et bien mal protégées par nos soi-disant "élites" nationales.

Pavel Kowaleski