Géopolitique

Paris, le 15 mai 2021

 

Biographie et travaux d'Anda Djoehana Wiradikarta ici

 

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Quelles sont, selon vous, les principaux objectifs de l’Indonésie dans sa politique étrangère ?

 

L’Indonésie s’efforce d’être fidèle à un principe de non-alignement énoncé pour la première fois en 1948 par son vice-président Mohammad Hatta. La république d’Indonésie, qui avait proclamé son indépendance en 1945, était alors en conflit avec les Pays-Bas, qui tentaient de récupérer ce qu’ils considéraient toujours comme leur colonie. Avec le début de la Guerre froide, Hatta exprime alors la position de l’Indonésie, qui ne doit prendre parti ni pour un camp ni pour l’autre. En effet, pour des raisons différentes, l’Amérique et l’Union soviétique soutenaient toutes deux la cause indonésienne. Pour Hatta, l’Indonésie ne devait pas être un objet mais un sujet sur la scène internationale, et devait élaborer sa propre politique étrangère. Les discours de Hatta sont réunis en un livre dont le titre, Mendayung Antara Dua Karang (« ramer entre deux récifs »), exprime le point de vue de l’Indonésie.

 

L’Indonésie de Soekarno était l’hôte de la conférence de Bandung qui, en 1955, avait réuni 29 pays d’Afrique et d’Asie, dont beaucoup avaient acquis leur indépendance récemment. Le pays est l’un des cinq membres fondateurs du Mouvement des non-alignés fondé en 1961 à Belgrade avec l’Égypte de Nasser, le Ghana de Nkrumah, l’Inde de Nehru et la Yougoslavie de Tito. Sous Soeharto, elle accueille le sommet du mouvement en 1992. Soeharto démissionne en 1998. Ses premiers successeurs, B. J. Habibie, Abdurrahman Wahid et Megawati, sont plutôt occupés à rétablir la stabilité politique et économique du pays. La vision de Yudhoyono (élu président pour 2004-2009 puis 2009-2014) est une Indonésie qui ait « A Million Friends and Zero Enemies ».

 

En 2014, peu après son investiture pour son premier mandat, le successeur de Yudhoyono, Joko Widodo, familièrement appelé « Jokowi », annonce sa vision d’une Indonésie comme poros maritim dunia, « axe maritime mondial » qui doit s’affirmer comme une puissance maritime entre deux océans, Indien et Pacifique. En particulier, sur la question de la mer de Chine méridionale, Jokowi déclare que toutes les parties doivent montrer de la retenue et chercher une solution fondée sur le droit international. Réélu en 2019, dans son second mandat, Jokowi se montre plus préoccupé par le besoin d’attirer des investisseurs étrangers. Mais la réaction de l’Indonésie au coup d’État en Birmanie montre que l’Indonésie ne se détourne pas des questions de politique étrangère. Elle ne dénonce pas le coup car ce serait aller à l’encontre du principe de non-ingérence sur lequel fonctionne l’ASEAN. Elle demande aux militaires de tenir leurs engagements pour l’organisation d’élections et cherche à obtenir l’accord des autres membres de l’association.

 

Face aux tensions entre la Chine et les États-Unis, quelle est la position indonésienne et la perception des Indonésiens ?

 

Le non-alignement de principe de l’Indonésie l’amène à ne pas prendre parti dans la confrontation entre la Chine et les États-Unis. Un des points d’antagonisme entre les deux plus grandes économies du monde est la question de la mer de Chine méridionale, que Beijing considère comme faisant partie de ses eaux territoriales, ce que ne reconnaît aucun autre pays. Les États-Unis et désormais également l’Union européenne entendent défendre le principe de liberté de navigation, qui est à la base du droit de la mer pour les eaux internationales. La position de l’Indonésie est que sa zone économique exclusive est définie par les frontières maritimes internationalement reconnues, et qu’elle entend défendre cette zone contre tout contrevenant.

 

La Chine est par ailleurs le premier client et le premier fournisseur de l’Indonésie et son troisième investisseur. Il n’est donc pas dans son intérêt d’intervenir dans une confrontation entre la Chine et les États-Unis.

 

Le gouvernement indonésien ne condamne pas la répression dont sont l’objet les Ouighours en Chine. On peut se demander si c’est par souci de ne pas froisser les autorités chinoises. Mais l’Indonésie ne dénonce pas non plus la persécution des Rohingyas par les autorités birmanes. Le principe de non-ingérence est donc également un facteur explicatif de la position de l’Indonésie dans les deux cas.

 

L’Indonésie est le premier pays à majorité musulmane au monde. Quelle est l’influence de la diplomatie indonésienne dans le monde musulman ?

 

L’Indonésie est membre de l’Organisation de la coopération islamique depuis la fondation de celle-ci en 1969. Toutefois, les buts de cette organisation ne sont pas de nature religieuse. De son côté, l’Indonésie n’est pas un pays musulman mais plurireligieux, comme d’ailleurs d’autres pays membres.

 

En 1946 la Ligue arabe, fondée en 1945 au Caire, émet une première résolution soutenant l’indépendance de l’Indonésie, puis une deuxième recommandant sa reconnaissance. En 1948, elle envoie un télégramme aux Nations Unies demandant un arrêt immédiat des actions militaires néerlandaises en Indonésie. En reconnaissance de ce soutien des pays arabes, l’Indonésie s’abstient de reconnaître Israël lorsque ce dernier déclare son indépendance en 1948. L’Indonésie subordonne cette reconnaissance à celle de la reconnaissance par Israël de l’État palestinien. Elle a d’ailleurs accepté l’ouverture d’une ambassade palestinienne à Jakarta. La motivation de l’Indonésie est donc l’opposition au colonialisme et à l’impérialisme, principes déjà énoncés dans le communiqué final de la conférence de Bandung en 1945.

 

Parce qu’elle ne se considère et ne se présente pas comme un « pays musulman », il semble peu probable que l’Indonésie songe à jouer un rôle dirigeant dans le monde musulman.