Brèves eurasiatiques (4)
Christine Dugoin-Clément, 1er décembre 2018
Suite à l’assassinat le 31 août 2018 d'Alexandre Zakharchenko[1], ancien dirigeant de la « République populaire de Donetsk », des élections présidentielles avaient été annoncées pour le 11 novembre 2018. Ces dernières avaient, dès leur annonce, suscité diverses réactions. Si le président Porochenko annonçait que les "élections" n'auraient aucune conséquence juridique et ne seraient pas reconnues par la communauté internationale, le secrétaire du Conseil de la sécurité nationale et de la défense (NSDC), Oleksandr Turchynov, avait une position plus ferme encore. A travers le service de presse du NSDC, il annonçait que les organisateurs de la « soi-disant élection dans la « République populaire de Donetsk » (RPD) et la « République populaire de Louhansk » (RPL) seraient repérés et poursuivis en justice[2]. Lors de cette déclaration, celui qui fut à la tête du gouvernement provisoire après la fuite de l’ancien président Ianoukovitch rappelait que tout vote se tenant sous le contrôle des militants est condamné par les principaux pays du monde. Il rappelait en outre que ces élections lui apparaissaient comme une tentative de discréditer les accords de Minsk et de renforcer le contrôle russe sur le territoire occupé de l'Ukraine.
Ces réactions tranchaient fortement, comme on pouvait s’y attendre, avec celle de la délégation russe du groupe de contact trilatéral de Minsk. En effet, selon Iryna Gerashchenko, première vice-présidente de la Verkhovna Rada, la délégation russe a officiellement annoncé qu’elle reconnaîtrait le résultat des élections dans le Donbass[3].
Malgré ces réactions, le scrutin s’est tenu ce dimanche. Si le suspense était loin d’être insoutenable quant aux résultats, il paraît intéressant d’en faire une analyse quant à ses conséquences mais aussi à son orchestration médiatique.
Après Zakharchenkon, Pushilin ; ou le costume contre le treillis
On peut s’interroger sur l’intérêt d’organiser des élections si peu reconnues alors même que les « républiques » du Donbass annonçaient vouloir repousser ces scrutins. En effet, elles avaient déclaré ne pas disposer de fonds suffisants pour organiser des élections et disaient craindre une offensive ukrainienne en cas d’organisation des votes. Mais l'assassinat d’Alexander Zakharchenko, en laissant un vide à la tête de la RPD, les a contraints à revenir sur leurs déclarations.
Ensuite, il semble intéressant d’analyser le profil de Denis Pushilin et de Leonid Pasetchnik, élus avec 57,3 % des voix, pour une participation annoncée à 80,1 %, pour le premier ; et avec plus de 70 % des voix pour le second qui se voit ainsi reconduit dans la fonction qu’il occupe depuis le coup d’État de novembre 2017.
Tout d’abord, si ces élections ne sont pas reconnues, elles auront néanmoins pour effet de renforcer la déstabilisation en Ukraine, en soulignant encore la présence de territoires occupés. Pour la Russie, il y a là une occasion de réorganiser l’organigramme de sa gestion télécommandée depuis Moscou. En effet, il est important de souligner que si le décès de Zakharchenko pouvait être source de flottement en RPD, la structure de la RPL n’a, elle, jamais été ébranlée.
Dans les faits, depuis que Pasechnik (ancien chef de l’antenne régionale des services de sécurité ukrainiens) a succédé au contesté Plotnitsky en novembre 2017, il a assumé ses nouvelles fonctions sans réelle opposition ou concurrence.
Concernant Pushilin, la situation était bien différente. Tout d’abord, il se devait de succéder à Zakharchenko qui était une figure emblématique du séparatisme dans lequel il s’est impliqué très tôt, notamment en prenant un commandement. Pour sa part Pushilin est plus associé aux accords de Minsk, donc au cessez-le-feu (certes non respecté). Ce rôle ne lui aura pas permis de se départir d’une apparence de personnage assez terne, ce qui va à l’encontre de la dialectique romanesque déployée en 2014. Cela explique partiellement que pour assurer l’élection de Pushilin, il ne suffisait pas d’encadrer le déroulement, il fallait aussi procéder à une organisation préalable visant à ne pas laisser de candidat sérieux se présenter. Ainsi Alexander Khodakovskyn, chef du bataillon Vostok, n’aura pas pu se rendre dans les temps à Donetsk pour déposer sa candidature. De même, Igor Khakimzyanov et Vyacheslav Dyakov, tous deux reconnus pour leur implication personnelle dans le conflit, ont également été empêchés de participer au scrutin, l’enregistrement de leurs candidatures ayant été refusé. In fine, il ne restait que quatre candidats de moindre envergure : Roman Khromenkov (ancien maire de Yenakiieve et Horlivka), Elena Shishkina (présidente du tribunal populaire ukrainien), Roman Yevstifeyev (directeur du Musée des vétérans de l’Afghanistan), et Vladimir Medvedev (vice-ministre de l'Éducation de RPD). Tous les quatre ne représentaient que peu de danger, mais ils avaient néanmoins l’avantage de donner l’apparence d’un scrutin normal. Ainsi écartés au préalable, les candidats sérieux laissaient plus de latitude au candidat Pushilin, d’ailleurs plus modéré et moins impulsif et donc plus gérable pour Moscou que son prédécesseur Zakharchenko. C’est dans cette configuration que Pushilin rencontrait ouvertement Vladislav Surkov à Moscou au début du mois d’octobre, ouvrant une ère où Moscou ne se sent plus obligé de cacher son implication dans la gestion des « Républiques ».
Un scrutin bénéficiant d’une communication « aux petits oignons » ?
Outre ce nettoyage des candidats avant les élections, il est important de noter l’importante machine médiatique déployée ainsi que le retour des « bonnes vieilles méthodes » pour assurer l’élection du poulain choisi par Moscou.
C’est ainsi que le nom de Pavel Gubarev a encore résonné. Cet homme d’affaire ayant fourni un support financier au mouvement séparatiste depuis ses débuts est aussi le propriétaire de la chaîne de télévision Novorossiya. Il contrôle aussi DNR-Live online. Par ailleurs, dans le cadre de ces élections, le Centre russe de la RPD aura été largement sollicité. Ainsi ces structures sont capables de produire des contenus « informatifs » sur tous sujets qu’ils soient politiques ou pas, mais nombre d’articles avaient néanmoins comme sujet principal Denis Pushilin. Outre les informations, le centre russe aura bénéficié du soutien financier de Moscou pour organiser diverses manifestations en RPD ainsi que la visite de délégations à Moscou ou à Rostov-sur-le-Don.
Enfin, les votants bénéficiaient de distribution de nourriture, de vente de fruits et légumes vendus à prix cassés dans un territoire où tout manque. Ces ventes n’étaient pas sans rappeler la période soviétique. De même les votants pouvaient bénéficier de cartes de téléphone ou de billets de loterie tentant maladroitement de contrebalancer la présence d’hommes en armes rapportés par l’AFP et les observateurs étrangers. C’est ainsi que s’est déroulé un vote qualifié par certains habitants du Donbass comme des « élections sans choix ».
Conclusion
Ces élections auront permis de remplacer un homme impulsif par un gestionnaire plus docile, permettant aussi de fournir un visage plus apaisé à la RPD alors que son pendant en RPL se voyait reconduit dans ses fonctions. Cependant, cette élection aura permis, encore une fois, de voir une large machine médiatique à l’œuvre, parfaitement coordonnée avec les opérations menées in situ, que cela soit dans la préparation des élections ou dans les différentes manifestations organisées pendant la campagne. Si les interactions sont clairement lisibles dans le Donbass, Moscou cherchant de moins en moins à cacher sa main dans les évolutions du territoire, il reste une inconnue dans l’équation de l’évolution de la situation en Ukraine, à savoir le résultat du scrutin présidentielles ukrainien à venir en mars prochain.
[1] http://www.rfi.fr/europe/20180831-ukraine-chef-separatiste-prorusse-tue-explosion
[2] « О. Турчинов щодо «виборів» на окупованих територіях: Цей злочин буде покарано » NSDC, 9 novembre 2018
http://www.rnbo.gov.ua/news/3153.html
[3] « Russia says it will recognize ORDLO pseudo-elections results » Interfax Ukraine, 6 novembre 2018 https://en.interfax.com.ua/news/general/543132.html