Paris, le 20 juillet 2021
Biographie de Florent Parmentier ici
La France et l’Allemagne voulait organiser un sommet avec la Russie, suivant en cela l’exemple du président Biden lui-même. L’opposition de la Pologne et des pays baltes a rendu la chose impossible. Que vous inspire cette situation, sur l’Union Européenne actuelle et sa capacité diplomatique ?
Si le duo entre l’Allemagne et la France conserve une grande importance en Europe, plus encore depuis le départ des Britanniques, il n’a évidemment pas le même poids dans une Europe à 27 que dans une Europe à six. Le quiproquo autour du Sommet UE – Russie en est l’illustration.
La question russe a longtemps divisé les Européens, entre les Etats-membres recherchant un partenariat et ceux qui y sont résolument hostiles. Cependant, il est vrai que la guerre en Ukraine en 2014 avait poussé l’ensemble de l’Union européenne à opter pour une politique de sanctions, qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui. Si Donald Trump a vanté les mérites de Vladimir Poutine comme leader, son mandat n’a pas mené à une amélioration des relations bilatérales. Le Président Biden se veut donc en rupture tant vis-à-vis de Trump en ne vantant pas son interlocuteur, mais aussi d’Obama, dont l’approche avait commencé par la volonté d’un reset et qui s’est terminé dans l’acrimonie. La rencontre de Genève entre Biden et Poutine a consisté à trouver des points d’équilibre, à acter des désaccords et à dresser des lignes rouges, sans attentes excessives. Il y a sans doute une raison essentielle poussant les Etats-Unis à envisager différemment la Russie : la poussée de la Chine inquiète les élites stratégiques à Washington, qui souhaitent à présent éviter un alignement sino-russe. Autrement dit, si la Russie est trop forte, elle peut inquiéter les alliés, mais si elle est trop faible, elle risque de tomber dans l’orbite chinoise.
C’est à la suite de la rencontre que l’initiative franco-allemande a pris forme, sans succès. Il faut pourtant se rappeler que ce type de sommet (UE – Russie) existait dans le passé, avant la détérioration rapide des relations en 2014. Le dialogue n’est pour autant pas nécessairement une fin en soi. Leur absence de reprise s’explique par plusieurs facteurs : l’absence d'objectifs communs et de perspectives de coopérations concrètes ; la position de la Pologne et des pays baltes, pensant qu’il suffira d’isoler la Russie jusqu’à ce qu’elle s’aligne sur nos valeurs de libéralisme politique et culturel (par ailleurs remises en cause à l’intérieur de l’Europe, en Pologne même) ; le défaut de consultation des autres États-membres, qui a aliéné le soutien de pays favorables aux positions franco-allemandes…
Cet échec est aussi, sans doute, la démonstration d’une perte d’influence d’Angela Merkel, à quelques mois de son départ de la chancellerie. Il conviendra de voir si la France peut prendre l’initiative, alors que Paris prendra la présidence de l’UE et verra des élections présidentielles et législatives. Si l’initiative franco-allemande a échoué, il faudra trouver les moyens de se fixer des objectifs communs.
En France, on parle souvent du couple franco-allemand, et de l’UE en général, sans vraiment connaître l’Allemagne. Pouvez-vous nous expliquer les priorités allemandes en Europe, et ses objectifs principaux en politiques étrangères ?
Les Français oublient généralement plusieurs facteurs lorsqu’ils considèrent l’Allemagne : les déterminants politiques – une stabilité des institutions (par ailleurs fédérales), une démographie vieillissante et un héritage historique lourd ; un pays largement exportateur et soucieux de défendre la souveraineté économique européenne ; un pays atlantiste, mais qui souhaite de bonnes relations avec la Russie ; la position géographique, qui fait le lien entre la France et les pays d’Europe orientale.
Les priorités de l’Allemagne en matière européenne découlent de ces déterminants : la volonté de restaurer une forte relation transatlantique, après Donald Trump ; la volonté de répondre aux besoins de la puissante industrie allemande ; la volonté d’affirmer une souveraineté européenne à l’intérieur et de promouvoir paix et droits de l’homme à l’extérieur. Des dilemmes existent : le cas de Nord Stream 2, gazoduc reliant directement l’Allemagne et la Russie via la Baltique, a suscité l’ire des Etats-Unis comme de la Pologne, a interrogé sur le fait de savoir si les relations germano-russes se faisant au détriment des voisins et des droits de l’Homme.
Dans cette situation, le dialogue entre les deux pays s’en trouve plus compliqué, en effet par méconnaissance côté français : l’animosité entre les deux peuples a pris fin (impressionnant si l’on considère l’état des relations en 1950), on a conscience en France du fait que l’Alsace-Moselle a des affinités avec l’Allemagne, mais peu ont entendu parler de la Sarre, qui prévoit d’être bilingue à horizon de 2040. De nombreuses initiatives et des réseaux institués existent, mais le déclin de l’apprentissage de l’allemand en France atteint des niveaux préoccupants.
A côté de ce duo franco-allemand, vers quels autres partenaires la France peut-elle se tourner pour sa politique européenne ?
Le jeu européen ne se caractérise pas aujourd’hui par des alliances fixes. Elles sont plutôt à géométrie variable, selon les sujets. Il existe d’ailleurs de nombreux sous-groupes, des pays nordiques au groupe de Visegrad (regroupant la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie), en passant par le triangle de Weimar (France – Allemagne – Pologne). L’Allemagne échange par ailleurs beaucoup avec ces différents sous-groupes, du fait de sa position centrale.
La France essaie depuis longtemps de jouer sur une orientation méditerranéenne, à destination du Maghreb et du Machrek. Cela se caractérise par la volonté d’équilibrer tout élargissement ou politique à l’Est par une politique au sud : le Partenariat euro-méditerranéen de 1995 contrebalance l’élargissement à l’Est, et la politique de voisinage s’est faite au Sud comme à l’Est.
Ce qui manque à la France est sans doute une politique avec les Etats-membres méditerranéens, à la fois tournée vers la mer mais aussi vers Bruxelles – en stimulant la croissance et l’innovation au Sud pour être davantage crédible au nord de l’Europe. La crise du tissu industriel français tire Paris vers les pays du Sud. Deux initiatives peuvent d’ailleurs nourrir cette orientation, complémentaire d’une relation franco-allemande solide : la relation franco-italienne, avec la signature du Traité du Quirinal, équivalent du Traité de l’Elysée pour la coopération franco-allemande ; le Med7 enfin, qui rassemble une alliance de pays latins et helléniques (Portugal, Espagne, France, Italie, Grèce, Chypre, Malte). La question du bon fonctionnement de ce groupe et de son rayonnement (peut-être en se rapprochant de la Croatie, de la Slovénie, Etats-membres méditerranéens, ou encore de la Roumanie, pays latin) doit donc être posée pour une politique française plus active en Europe.